Samedi 14 janvier 2017 : Galette de Thélème
Combien d'entre vous ont ils rêvé la nuit dernière? Selon des recherches, chacun rêve quatre à cinq fois chaque nuit, avec une durée moyenne de 90 minutes. Chacun rêve, mais peu se souviennent de ce qu'ils ont rêvé.
En revanche, ceux qui ont eu un songe s'en souviennent toujours ! Et c'est le songe qui va être le fil conducteur de notre après-midi.
Et je vous invite à nous suive en Palestine... pour vous parler d'un homme qui a souvent été confronté à des songes : Joseph, le taiseux, le grand silencieux des Ecritures.
Et que le spectacle commence !
Les Fiançailles
1er tableau - Piero della Francesca - La Madonna del Parto - 1455 - musée de Monterchi
La Madonna del Parto est une fresque de 2m60 sur 2m réalisée autour de 1460, pour la ville natale de la mère du peintre, Monterchi en Toscane.
La scène représente la Vierge enceinte, debout et face au spectateur dans une attitude impassible, hiératique, à la manière des représentations byzantines, comme privée de sentiments. Certains y voient une figure rude, paysanne, par laquelle l'artiste a voulu se démarquer des habituels profils à cheveux longs et blonds représentant la Vierge.
La main gauche est posée sur la hanche, la droite soutient son ventre proéminent que l'on aperçoit par l'échancrure de sa robe.
Elle est entourée de deux anges spéculaires (effet de miroir), parfaitement symétriques car réalisés à partir d'un même carton et de couleurs opposées, anges qui écartent délicatement les pans du rideau du baldaquin.
2ème tableau - Georges de La Tour - L'Apparition de l'ange à Joseph - vers 1640 - musée des beaux-arts de Nantes
Un enfant et un vieillard sont séparés par une table. Sur la table, un chandelier porte des ciseaux à moucher. L'enfant surgit de la nuit. Il se tient debout, la main gauche ouverte vers le ciel dans un geste d'une grâce exceptionnelle. Son bras droit est tendu vers le vieillard mais sa main ne le touche pas encore. On ne sait si c'est un garçon ou une fille… puisque c'est un ange. Son bras tendu cache la flamme de la chandelle, symbole de la lumière divine, que l'on ne peut regarder en face.
Le vieillard, accoudé à la table, la tête dans la main droite, s'est endormi, un livre ouvert sur les genoux. Il porte une longue robe brune coupée sur la poitrine par une ceinture rouge. Sa main gauche semble encore feuilleter le livre dont une page se soulève comme si elle allait tourner d'elle-même.
Ainsi saisis dans un instant éphémère ou un moment d'éternité, les deux personnages sont immobiles, ils sont en eux-mêmes. Et le spectateur se tait aussi, comme si Georges de La Tour avait réussi, là, à peindre le silence.
La Visite à la cousine (à Ein Karem près de Jérusalem)
3ème tableau - La Visitation - Enluminure du XVème - musée Condé, Chantilly
Nous y trouvons de gauche à droite
- le prêtre Zacharie, mari d'Elisabeth, en robe sacerdotale jaune
- Marie, vêtue de rouge et de bleu, enceinte de Jésus
- sa cousine Elisabeth, toute en bleu, enceinte de Jean-Baptiste
- puis Joseph, en rose, plus petit, à droite avec une canne jaune.
Zacharie, encore muet juqu'à nouvel ordre, ne récupèrera l'usage de la parole qu'à la naissance de Jean-Baptiste.
Les deux hommes portent du jaune, la robe sacerdotale de Zacharie et le bâton de Joseph. Or le jaune, à l'époque médiévale, était la couleur associée à l'ignominie et à la trahison, et il deviendra la couleur des trompés, et donc des cocus…
La Paternité
4ème tableau - Lorenzo Lotto - La Nativité - Sienne, Pinacothèque Nationale - 1527
Penchons nous, comme il le fait, sur le berceau de la Nativité. La source lumineuse vient du corps à peine plongé dans un baquet. Comme d’habitude, Joseph, drapé de bleu, est en retrait de la scène. A gauche, Marie, s’apprête à plonger les fesses du marmot dans l’eau et Salomé la sage-femme, à droite, a les mains serrées comme si elle ne parvenait plus à articuler ses phalanges.
Et à y regarder de plus près, nous observons un détail troublant et incongru : Jésus a encore son cordon ombilical noué sur son ventre. Il est aussi exceptionnel de voir le cordon ombilical de Jésus. Ce détail constitue un unicum iconographique.
5ème tableau - Konrad von Soest - vers 1403 - Triptyque de Bad Wildungen (proche de Cassel, dans le land de la Hesse)
Cette Nativité est présentée de manière inhabituelle : Marie est couchée dans un lit, cajolant son fils, alors que Joseph ravive le feu sur lequel il prépare une bouillie. Même si la grange et l'étable sont présents, les animaux ainsi que le berger au fond qui entend la bonne nouvelle sont supplantés par le rouge éclatant de la couverture du lit… à tel point que nous ne remarquons sur scène ni l'étable ni le berger !
Pourquoi des bergers ?
6ème tableau - Georges de LA TOUR - L'Adoration des bergers - 1645
Les sujets religieux de La Tour frappent par leur simplicité, leur rigueur géométrique et leur saisissant éclairage "à la chandelle''.
Comme d’habitude le fond est neutre, ici perdu dans la pénombre. Les personnages sont tout proches, découpés par le cadre du tableau. Ils s’imbriquent les uns aux autres autour de l’enfant. Cette proximité, qui semble statique, est vite animée lorsqu’on parcourt le demi-cercle des têtes, lorsqu’on suit l’orientation des regards, lorsqu’on détaille le jeu contrasté des mains.
Jésus est le centre des regards, le centre lumineux plus que la bougie masquée. Mais il rayonne sa lumière sur la robe au rouge éclatant de la Vierge. L’enfant et la mère sont les deux points les plus lumineux du tableau, avec des rappels en intensité moindre sur la servante et Joseph.
Nous rejoignons ici les symboles dans la peinture du XVIIe siècle. Par exemple l’agneau qui se faufile entre mère et berger ne vient-il pas rappeler que cet enfant est l’agneau qui porte et enlève le péché du monde?
Mais plus que des symboles, cette Adoration des bergers tire sa profondeur et sa charge de recueillement de tous ces visages qui regardent et sont en même temps tournés vers l’intérieur.
Voici comment François Solesmes décrit ces visages dans son précieux livre sur notre peintre, je cite : « Celui de Joseph est d’un homme qui, en silence, prend à témoin les visiteurs de la chose sans prix qui se trouve là. En face, Marie, fermée, se perd dans une contemplation lointaine qui la détache très en avant du groupe.
Calme assurance, sollicitude et respect se partagent le visage de la servante. Le berger au bâton, pensif, laisse changer sa rigueur en naïve tendresse. Le plus touchant est le berger de l’arrière-plan, avec son geste de se découvrir devant son seigneur. Avec, en dépit de la timidité, ce désir de voir et d’être admis dans le cercle. Et ce sont là visages nus, rapprochés par une soudaine espérance.» Fin de citation.
Donc un chef-d'œuvre d'intériorité.
Comme les rois mages…
7ème tableau - Brueghel l'Ancien - L'Adoration des mages - 1564 - National Gallery de Londres
Comme c'est souvent le cas chez Brueghel, le point de vue adopté est légèrement plongeant.
La Vierge est assise au centre de la toile. Sa main gauche retient l'enfant qui gigote sur ses genoux. Celui-ci est posé sur un linge blanc. Il est nu et semble bien craintif, s'agrippant à la main de sa mère et se serrant contre elle.
Joseph est un homme corpulent à la barbe et aux cheveux blancs, vêtu d'un manteau brun clair sans apprêts, représenté comme un simple paysan. Placé juste derrière la Vierge, il affiche un air débonnaire, n'observant la scène que du coin de l'œil. [Son attention est en effet requise par un homme qui lui chuchote à l'oreille.]
La peur de l'enfant semble bien naturelle lorsqu'on observe les visages grimaçants des deux vieillards qui se penchent vers lui.
L'un des deux est agenouillé devant l'enfant et lui tend une coupe d'or à trois lobes, emplie d'une substance probablement précieuse. Il porte une robe d'un vert sombre surmontée d'un manteau rose pâle, bordé de dorures et de fourrures. Cette opulence ne masque pas les désagréments de la vieillesse. Ces cheveux filasses sont d'un blanc jauni, et son visage manque de fraîcheur. A ces pieds est posé un chapeau noir cousu d'or, qu'il a probablement ôté par respect pour l'Enfant. Une épée et le couvercle de la coupe gisent à côté.
L'autre vieux mage, que l'on voit de face, ne présente pas une meilleure figure, même si ces cheveux sont bruns et non blancs. Il est vêtu d'un grand manteau rouge qui semble moins luxueux que celui de son voisin. Il n'est pas à genoux mais s'incline fortement vers l'enfant pour lui présenter une coupe dorée, finement ciselée.
Seul le mage noir reste debout, comme s'il attendait son tour. Il est entièrement vêtu de blanc, à l'exception de ses bottes rouges. Son manteau présente des franges. Son visage, très sombre, est difficile à discerner. Son front est ceint d'un bandeau blanc. Il tient à la main un encensoir à chaîne d'argent.
Ce qui frappe avant tout l'attention concernant les autres personnages, c'est la présence de nombreux soldats munis de casques et hallebardes.
La Présentation au Temple
8ème tableau - Giovanni Bellini - La Présentation au Temple - 1460 - Palais Querini-Stampalia, Venise
Cette peinture, une tempera sur bois, de Giovanni Bellini, est située au Palais Querini Stampalia de Venise… et je vous invite à vous y rendre…
Au premier plan, accoudée à la balustrade, Marie tient l’Enfant étroitement emmailloté, comme cela se faisait jusqu’au XXème siècle. Elle le tend vers Symeon dans l’Evangile de Luc, mais vu la richesse du costume, il pourrait peut-être s’agir du Grand Prêtre. Entre ces deux personnages, un peu à l’arrière, comme on le représente souvent, Joseph regarde d’un air sévère. Il serait le portrait du père de l’artiste. Les autres personnages sur les côtés seraient aussi des membres de la famille Bellini.
En Egypte à dos de bourricot
9ème tableau - Rembrandt - La Fuite en Egypte - 1625 - Musée des Beaux-Arts, Tours
Une œuvre de jeunesse puisque Rembrandt n'avait que 19 ans, une simple esquisse traitée en clair obscur pour certains critiques d'art !
Mais sait-on où vont s'établir nos trois voyageurs ? Ils iront à Matarieh, près de Gizeh.
Suivons-les !
Le Retour d'Egypte
10ème tableau - Charles Le Brun - La Sainte Famille ou Le Benedicite -1655-56 - Musée du Louvre, Paris
Le sujet, d'apparence très simple, est en fait attentivement médité : il s'agit non pas d'un simple repas de la Sainte Famille, mais de son dernier repas au moment de quitter l'Égypte.
Temps de l’intimité familiale retrouvée après la dispersion des travaux de la journée. Une mère toute de douceur ; un père à l’imposante stature ; un enfant tourné vers cette figure paternelle. Bref une famille en sa maison. Entrons dans le mystère de cette famille.
Portons notre regard sur le père. Son métier nous est donné à contempler, par ses outils de charpentier disposés au sol. Outils rudes, comme la lourde masse de pierre, mais travail qui peut être délicat comme un pied de table finement tourné. Ce père étonne. Le regard songeur, il ne s’est pas assis pour partager le repas. Mangerait-il debout, sandales aux pieds, bâton à la main, comme jadis les Hébreux au soir de la Pâque ? Oui, ce Joseph a des allures de Moïse.
Ils sont trois, comme le triangle formé par les doigts de l’enfant. L’artiste le croyait : en la Sainte famille, c’est une image terrestre de la divine trinité céleste qui nous est donnée.
Regardons la table du repas. Quelques pommes, symbole du Salut. Du pain, sans doute du vin dans un vase couvert, posé au sol ; à moins qu’il contienne l’eau des ablutions rituelles. En cet étrange repas pascal, pas d’agneau. Un couteau pourtant désigne la victime : seul le manche est visible, mais sa lame est bien dirigée vers l’enfant, véritable agneau pour la Pâque.
Le Charpentier de Nazareth
11ème tableau - Georges de La Tour - Saint Joseph charpentier - vers 1642 - Musée du Louvre, Paris
Ici est mis en scène un épisode qui n’est pas décrit par les quatre Évangiles, mais qui se rattache aux scènes anecdotiques et légendaires de l’enfance du Christ.
Le charpentier Joseph, vêtu d'une chemise aux manches retroussées et d'un tablier, perce avec une tarière, devant son fils, une poutre posée à terre qui apparaît comme une évocation prémonitoire du bois de la croix sur laquelle il mourra.
Jésus tient dans sa main droite une bougie allumée dont il canalise la flamme avec sa main gauche afin d’éclairer le travail de son père. La lumière vibrante de la bougie illumine le visage frais et innocent de l’enfant et accentue les traits burinés de Joseph.
Le peintre multiplie les tours de force dans le traitement de l’éclairage, comme cet effet de la main gauche de l’enfant littéralement traversée par la flamme de la bougie.
Ce procédé, utilisant le jeu de contraste entre lumière et ombre, nous l'avons déjà croisé au tout début de notre prestation, lors de l'Apparition de l'Ange à Joseph.
Bien évidemment ces deux toiles évoquent le Caravage, chez lequel aussi la lumière transfigure une scène ordinaire en scène divine.
Mais tandis qu'avec le peintre italien, la lumière vient de l’extérieur du tableau, comme transcendée par son irréalité, La Tour la situe dans le tableau lui-même. Dans les deux toiles de La Tour, l'Ange et Jésus apparaissent transfigurés par la lumière de la bougie qui irradie leurs visages et donne aux mains un aspect diaphane, irréel.
Donc deux chefs-d'œuvre dans lesquels réalisme et idéalisme se côtoient intimement et parviennent à faire surgir le spirituel au milieu d'une scène de la vie quotidienne.
Le Pèlerinage à Jérusalem
12ème tableau - William Holman Hunt - Découverte du Sauveur dans le Temple - 1860 - Birmingham Museum and Art Gallery
Obsédé par l'idée de revitaliser l'art religieux en insistant sur la précision ethnographique combinée avec le symbolisme biblique détaillée, Hunt a voyagé au Moyen-Orient pour la conception du tableau, en utilisant les populations locales comme des modèles et en étudiant les anciennes coutumes et les rituels judaïques.
Hunt représente ici le moment où Marie et Joseph retrouvent Jésus, tandis que les rabbins dans le temple réagissent de diverses façons contrastées à son discours, certains intrigués, d'autres en colère ou dédaigneux.
Conclusion
Marie et Joseph se sont rencontrés et aimés.
On a prêté peu d'attention à un tel couple, à un tel mariage.
En revanche, des écrivains, parmi les plus grands -de saint Augustin à Paul Claudel, d'Origène à Bossuet- ont été éblouis par l'amour de Joseph et de Marie.
En notre temps, Henri Caffarel en a donné un chaleureux témoignage : "Joseph n'est pas le père biologique de Jésus, mais combien père il a été ! "
Françoise Dolto a écrit : "Il n'y a de père qu'adoptif" ; et Marcel Pagnol en son théâtre : "Le père, ce n'est pas celui qui donne la vie, mais celui qui aime".
Les vedettes ont été, par ordre alphabétique, Claude ALBEROLA, Monique ASTRUC, Jacques ASTRUC, Monique FABRE, Danièle FAVEREAU, Yves GODARD, Chantal LABORDE, Yvette RENAUDAT, Françoise ROUDIL, Jany TERRAL, Jeannine TORTERAT, Robert WALD sans oublier les ouvreuses Monique ANOAL, Anne-Sylvie GUICHARD er Dominique PLOUY.